K.Oz – Itinéraire d’un activiste du Noise
Interview Oldskool du 2 janvier 2021 par Clément Perez
» Chez Oldskool, on aime partir à la rencontre des activistes de tous bords, ceux qui ont notamment permis de défricher des scènes, de découvrir des artistes et de briser les barrières entre les styles. C’est le cas de notre invité aujourd’hui ! Difficile de présenter K.Oz tant ses activités ont été nombreuses et importantes pour plusieurs scènes et ce, pendant plusieurs années.. Tour à tour label manager, responsable de boutiques de disques, organisateur de soirées, tourneur, booker.. On revient avec lui sur son parcours, l’itinéraire d’un activiste du bruit !
Où as-tu grandi, et quels ont été tes premiers terrains de jeux underground ou alternatifs ?
Je suis né à Thionville, Vallée de la Fensch, décor typiquement industriel… des usines sidérurgiques un peu partout ; sans doute m’ayant inconsciemment permis de développer mon goût pour l’industriel très tôt ! 1er terrain de jeu : un terrain de foot. Après la ville, les bars, trainer avec des potes à l’époque plutôt Goth / Indus / EBM pour partager nos découvertes musicales, boire des coups, fumer des joints, aller à des concerts et accessoirement à l’école…
C’était quoi tes premiers vrais coups de cœur musicaux ?
Pour être original… The Cure vers 14 ans donc 1986… Pornography en 1er, ensuite Joy division, Virgin Prunes, Neubauten, Swans, Spk, Coil, Merzbow, Aube, Xenakis, Karkowski, Daniel Menche, Autechre, Aphex twin, Richard Devine, Pansonic, Somatic Responses, Imminent, Praxis rec / Ambush, La Peste / Hangars Liquides, Ho, Elektroplasma, Reload Limited / Ambient, les 1ers Rephlex, Sound Never Seen, Ant-Zen / Hymen… J’en oublie 10000… Résumé rapide de choses connues !
Quelles ont été tes premières activités liées à la musique ?
J’ai d’abord été consommateur de disques, animateur radio, DJ, responsable du rayon musique indépendante à la Fnac de Nancy, commercial chez Sémantic (distributeur de musique indépendante du début des 90s), participation à des fanzines. Mais aussi disquaire des magasins Wave Nancy et Paris, organisateur des soirées Seppuku, Parazit et d’autres… J’ai aussi organisé les tournées pour des groupes et celles du label (Merzbow, Yb70 / Ytterbium…) producteur, directeur de label, graphiste un peu…
Parlons de soirées.. Tu as commencé avec les soirées Seppuku au milieu des 90s, d’abord dans l’Est de la France c’est ça ?
Exactement, dans l’est, à Strasbourg en 1er. J’étais en bonne relation avec Lol d’Ombre Sonore qui organisait des concerts/festivals Goth / EBM / Indus sur Strasbourg à la Laiterie entre autre. Je lui ai demandé si on pouvait s’associer pour faire un truc plus Tek / Hard / Indus et il était chaud. Donc ça a commencé tout simplement comme ça. J’avais déjà avant booké des groupes pour différents organisateurs de l’est de la France et Nancy. Le fait que je travaillais chez Sémantic me mettait directement en relation avec des labels voire des artistes, du coup quand quelqu’un tournait, j’avais les dates et je le proposais aux organisateurs du coin, dans l’Est… il y a eu de mémoire Black Lung, Riou, Starfish Poll, Xingu Hill… Déjà des trucs Techno assez Indus !
Ce que je remarque, c’est le mélange immédiat entre 2 scènes qui se côtoyaient sans jamais vraiment se mélanger avant tes soirées : le monde des musiques « Techno » dures, et le monde de la musique industrielle (voire Noise). Ou comment retrouver sur une même teuf Holeg, Imminent Starvation, Laurent Hô ou Winterkälte.. Pourquoi avoir toujours voulu ce mélange ?
Très bonne remarque, c’est sans doute lié à mon parcours musical personnel là encore. Quand tu travailles chez un distributeur de musique indépendante et que tu es en plus disquaire / responsable d’un des shops les plus pointus de France, ça t’ouvre un peu l’esprit. Tu découvres 10 000 trucs, tu partages avec de nouvelles personnes. Tu te dis qu’il y a plein de trucs biens que tu aimerais faire jouer dans des soirées que tu organises et au-delà des étiquettes qui ne veulent souvent rien dire, ou alors qui disent la même chose.
Je trouvais qu’il y avait pas mal de trucs de la scène Indus-Rythmique qui ressemblaient à des trucs de la scène Techno dure, deux scènes que je suivais. Donc simplement on a rassemblé tout ce petit monde et on a organisé des soirées. On a pris, à mon goût, ce qui était très bien dans les scènes dites Techno Hardcore, Indus rythmique, Electro-Indus, Breakcore, Dark Techno, Ambiant Expérimental, Noise, même Dark-Psy.. On a fait découvrir à qui le voulait bien ce qu’on aimait et proposait ! Tu imagines un jeune écoutant de la Tribe qui vient parce ce qu’il y a Crystal Distorsion sur un flyer et qui se retrouve avec Imminent en live : ça lui fait tout drôle !
Je pense aussi que si j’avais fait des plateaux uniquement rythmiques Noise ou Breakcore en 96 en France il n’y aurait pas eu la même fréquentation que lors des 1ères Seppuku (jusqu’à plus de 2000 personnes), mais plutôt comme sur les parties Parazit sur Paris plus tard où il y avait entre 150 et 500 participants. Ce mélange permettait aussi la viabilité de ces soirées et surtout de faire jouer et de faire découvrir des groupes d’Indus rythmique, Noise, Breakcore… à un très large public.
Tu as ensuite commencé à organiser des events à Paris, pourquoi ce choix ?
Simplement parce que j’ai déménagé de Nancy sur Paris en 1999 donc j’étais sur place, et c’est plus facile d’organiser des évènements qu’à distance ! J’ai continué malgré tout à organiser des soirées hors Paris principalement évidement dans l’est de la France.
Quelles ont été les plus grosses claques, ou tes meilleurs souvenirs sur les soirées ?
Il y en a beaucoup à vrai dire. J’avais organisé dans un bar à Nancy un concert de Aube qui était surréaliste. Imminent pour la première fois en 1996 devant 1000 personnes, Somatic Responses en 1996 aussi devant plus de 1000 personnes, retournement de cerveaux en bonne et due forme ! Winterkälte sur la même soirée que XMF (1er live seul de Benoit, Michel était absent car malade), Benoit me disait que c’était incroyable ce live avec une batterie électronique sur scène. Joker à la 1ère Seppuku en fin de soirée pour un mix Hardcore industriel parfait avec, pour l’anecdote, tous les lives et DJs sur scène qui se font applaudir par une salle qui en redemandait.
En fait il y a des supers souvenirs à chaque soirée, ça serait vraiment très très long de tout raconter. Ho, Liza, Elekroplasma, La Peste, toujours la grande classe ! Venetian Snares à Paris au Tryptique qui un peu alcoolisé… beaucoup… essaie d’allumer pendant son set l’écran derrière lui. Scud, Fringeli aussi bien classe à chaque date où je les ai vu / ou fait jouer… J’avais aussi organisé pour le festival Ososphere de Strasbourg un plateau hardcore en 1999/2000 avec Ho, Le Malin, Micropoint, La Peste, Pug, Mikrob… c’était au Molodoi et il y avait tellement de monde que l’eau coulait du plafond et des murs. À Nancy une Seppuku sur 2 jours où on avait loué une salle de mariage en annonçant un mariage pour pouvoir organiser la soirée mais trop de monde… Du coup le lendemain on loue la salle accolée et plus de 2000 personnes se pointent. Au final un bordel monstre, et la gendarmerie… on a survécu…
La petite salle de la Laiterie au début des Seppuku était PsyTrance, avec plein de tentures, lumière bleue et encens, et une bonne ambiance là aussi. À Paris la 1ère date de Venetian Snares en France le bateau bouge encore, Iszoloscope et Vromb aussi pour leurs 1ères dates en France au Batofar également.
De mon côté au palais de Tokyo avec Merzbow je mixe noise et les enceintes prennent feu, je termine mon set et là évacuation de la salle.. ça pue on attend 30mn/45 mn avant le live de Merbow pas très content de jouer sur des enceintes a moitiés grillés… Karkowski au Nouveau Casino pour une soirée organisée avec Ferns un live d’une grand intensité. Matt et C4 les amis qui se déplaçaient à chaque soirée et qui assuraient grave à chaque fois aussi ! Les soirées au squat du 13 organisé par Ripit là aussi plein de bon souvenir ! Chaque festival Audiotrauma c’est les retrouvailles, la fête avec plein d’amis…
Bref plein plein plein de souvenirs merveilleux (je ne garde qu’eux et j’en oublie aussi) mais le plus important c’est les relations humaines qui se sont créées entre la plupart des musiciens et personnes avec qui j’ai travaillé ou qui m’ont aidé à organiser toutes ces soirées (Lol, Benji La Malice, Svoboda, Dezakord, Ellipse)… Plein d’amis avec qui je partage toujours beaucoup de choses, et d’autres moins mais pour qui j’ai un profond respect et une totale gratitude pour leur participation. Un grand merci encore à tout ce petit monde, salles, musiciens, co-organisateurs, infographistes, intermittents, ingés son, lighteux, participants… Sans qui rien n’aurait été possible. J’oublie la encore sans doute bon nombre d’anecdotes… mais il faut bien se limiter !
Parlons des labels, qu’est ce qui t’as poussé à te lancer dans la production ?
C’était un truc que j’avais pas encore fait, et je travaillais avec des gens chez Semantic qui avait tous des labels perso + Zeitgeist le label de Semantic (Bastard, Sister Iodine, Slushy…) donc encore une fois tu baignes dedans et tu as envie aussi de le faire. J’étais le plus jeune et sans doute je voulais faire comme les autres mais à ma manière. Après à cette époque j’avais eu un vrai coup de cœur pour un maxi d’Elektroplasma sorti chez mon ami Ho, il nous a mis en contact, Nils et Stéphanie avaient un album à sortir et voilà comment commence l’aventure. Après suite à l’organisation d’un concert, de notre rencontre et de son séjour chez moi quelque jours il y a eu un album d’Akifumi Nakajima (Aube) et ensuite ça s’est enchainé !
C’était quoi la ligne artistique de Ytterbium et YB70 ?
Pour Ytterbium (la partie Ambient, Noise, Experimental) c’était de sortir des disques seulement si cela n’avait jamais été fait en France : 1er album Elektroplasma, 1er album de Aube ou Karkowski sur un label Français … Avec comme références que des nombres 1er – très conceptuel comme programme !
Yb70 était la partie Techno Indus / Hard Electro / Breakcore Hardcore… on a monté aussi Modulo avec Laurent Ho, un label plus Electronica. Pour l’instant tout est en stand-by mais peut-être pas pour toujours !
Avec le recul, quel est ton disque préféré sur ton label ?
Compliqué ça … Je te dirais que ça dépend des jours, des moments, de mon humeur etc… mais je suis très très fier d’avoir produit tout ce que j’ai produit.
J’aimerais qu’on parle de la boutique de disques à Paris. Est-ce que tu peux nous présenter le shop ? Quel fut sa période d’activité ?
En 1998 j’ouvre la boutique Wave, succursale de celle de Nancy. C’était une amie Isabelle qui était vendeuse / responsable du shop à l’époque. Ancienne vendeuse et responsable des EPE (établissement phonographique de l’est) qui était un magasin et salle de concert indépendant mythique, et ensuite de Ubahn le magasin de disque de Sémantic qui était installé à Paris et qui avait fermé avant l’ouverture de Wave.. Depuis Nancy on gérait les commandes, les relations avec les distributeurs etc… Je suis arrivé après sa démission pour des nouvelles aventures fin 1999, c’était plus simple de gérer le shop en étant sur place donc j’ai déménagé à Paris. Je suis resté son responsable de 1999 à fin 2007 Septembre / Octobre, période à laquelle j’ai démissionné à cause des mensonges du gérant. Le magasin fermera début 2008. C’était sans doute le magasin le plus pointu de France a cette période. On y proposait pas mal de styles de musique : du rock avant-garde, à la musique concrète, contemporaine, expérimentale, en passant par le noise, l’industrielle, la plupart des musiques électroniques hors normes, expérimental, hard et non commercial etc.. Je vendais pour certains labels plus que tous les autres magasins de France Fnac incluse. Je pense avoir payé la fabrication de certains CDs de plusieurs labels qui se reconnaitront ! Il y avait un monde dingue dans le shop, le samedi les clients faisaient la queue, on ne pouvait plus circuler dans ce petit magasin, je vendais des milliers de disques hyper pointus chaque mois c’était incroyable. J’ai fait la connaissance de plein de personnes fantastiques – une période de ma vie extraordinaire à part la fin très dure pour moi qui m’était tellement investi pour ce lieu !
Pour moi, YB70 a clairement été un des meilleurs labels des années 00s, faisant le pont entre la scène Indus et Techno/Hardcore. Quel bilan tu fais plus de 10 ans après son arrêt de toute cette période ?
Merci pour ton ressenti concernant Yb70 ça fait plaisir ! C’était une période folle qui allait à 200 à l’heure entre le magasin, les soirées à organiser, les soirées où je mixais – en 2000 ou 2001 je crois que j’ai joué tous les 15 jours – les labels, les nuits presque blanches à masteriser des disques dans le studio de Laurent Ho, les soirées à concevoir les pochettes de disques, les flyers, les amis et amies… C’était juste dingue mais tellement motivant. J’adorais faire tout ça même si c’était hyper crevant.
Pourquoi avoir arrêté le label et l’organisation de soirées ?
J’ai tout mit en arrêt malheureusement après la fermeture de Wave. Avec mon nouveau job (responsable d’une boutique de vente de DVD / Bluray de cinéma indépendant qui se situait à 1h30 de mon habitation donc 3h transport tous les jours) et la naissance de mon 1er enfant, ça ne laissait plus beaucoup de temps pour le reste … Une démotivation aussi sans doute dû à la perte du nombre de ventes physiques et du téléchargement pirate qui je pense a fait beaucoup de mal aux indépendants. Avec les soirées Kod-ex qui reprenaient la ligne artistiques des soirées ParaZit, plus trop besoin d’organiser de A à Z une soirée. J’ai ensuite déménager dans l’est près de Nancy, avec deux autres nouveaux enfants – donc 3 enfants en 6 ans – ça occupe franchement beaucoup… Et pour être franc, rien n’est arrêté c’est juste en pause, mais pour combien de temps ?
Quelles sont tes activités désormais ?
Je cherche toujours ! Mais je m’ennuie pas …
Est-ce que tu as des coups de cœur musicaux actuellement ?
Toujours plein ! Je consomme énormément de musique, j’écoute toujours beaucoup de trucs Ambient, Experimental, Noise récent ou non. J’achète aussi pas mal de trucs sur Bandcamp, des micros labels qui font des trucs terribles en Techno Hard ou Indus rythmique que je mixe le plus souvent. Je ne me rappelle même pas de tous les noms de musiciens, je chope un titre par ci par là… Il y a un shop aussi à Nancy : Rhizome magasin du label Ici d’ailleurs où il y a des bons disques et où je fais quelque emplettes de temps à autre. Sinon dans mes coups de cœur récents ou presque il y a le label Noiztank dans sa quasi intégralité , Kindcrime aussi je trouve qu’il y a des trucs pas mal ! Le label Ferns aussi de mon ami Seb qui sort de bon disques Ambient Concrete… et puis dans le désordre des titres mais pas tout … d’Impulse Control, Codex Empire / Antechamber, Orgie, Oguz, Vishscale, H880, Oake, Aneed, Incident Prism, Duellist, Time Traveler, Animal Holocaust, Savage Cult, Orphx, Ontal, 14anger / Rendered et puis toujours les classiques, Elektroplasma, Imminent, Somatic Responses, Iszoloscope, Ancient Methods, La Peste, Subskan, Hoikam, Daniel Mensche, Merzbow, le label Ferns, Autechre, Richard Devine, Venetian Snares, Small Cruel Party, Pain Jerk, John Wiese, LHD , Crawl Unit, Deathprod, The Haxan Cloak, Fennesz, Pita, Audiotrauma rec les amis ! J’en oublie encore 10 000 … mais c’est pas grave ! «